NOUVEAU REBONDISSEMENT POUR LE BAREME « MACRON » - LE DEBUT D’UNE FRONDE ?
Nous vous parlions il y a seulement quelques jours de l’avis de la formation plénière de la Cour de Cassation du 17 juillet 2019, n°19-70.010, qui avait jugé le barème relatif aux indemnités prud’homales, dit barème « MACRON », instauré par ordonnance du 22 septembre 2017, compatible avec les dispositions de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.
Pour un rappel de l’historique du feuilleton judiciaire entourant le barème MACRON, vous pouvez vous reporter à nos articles :
- INDEMNITES PRUD’HOMALES : LE DEBUT DE LA FIN DU BAREME MACRON ?, du 15 janvier 2019
- INDEMNITES PRUDHOMALES : LA MORT ANNONCEE DU BAREME MACRON ?, du 6 février 2019
Au terme de cet avis, la messe semblait dite, tant il était improbable qu’une juridiction du fond, Conseil de Prud’hommes ou Cour d’Appel, aille à l’encontre de la position exprimée par la plus haute juridiction judiciaire française. Et pourtant…
L’AVIS DE LA COUR DE CASSATION PUREMENT ET SIMPLEMENT ECARTE
Néanmoins, les avis de la Cour de Cassation ne sont que…des avis, ce que nous rappelle, non sans une certaine audace, le Conseil de Prud’hommes de GRENOBLE dans une décision du 22 juillet 2019 (n°18/00267), constituant un nouvel épisode de la palpitante saga du barème MACRON.
Rappelons que cette juridiction s’était d’ores et déjà prononcée en la défaveur du barème, par décision du 18 janvier 2019 (RG n°18/00989) (Voir NOTRE ARTICLE A CE SUJET), rendue en formation paritaire (deux conseillers employeurs, et deux conseillers salariés).
Cette fois, c’est en formation de départage, soit une formation présidée par un magistrat professionnel, que le Conseil de Prud’hommes se prononce, donnant à la décision un poids naturellement plus important (bien que relatif, il ne s’agit toujours « que » d’un Conseil de Prud’hommes…).
Et la décision a de quoi surprendre : alors que moins d’une semaine plus tôt, la formation plénière de la plus haute juridiction judiciaire française se prononçait explicitement en faveur de la compatibilité du barème à la convention 158 de l’OIT, le Conseil écarte le barème, comme étant incompatible avec cette même convention !
LE CPH DE GRENOBLE : L’ADO REBELLE
Au vu de la proximité de l’avis et de la décision (17 juillet et 22 juillet), on aurait pu imaginer que le Conseil était déjà fixé sur sa décision lorsque la Cour avait rendu son avis, et qu’il attendait simplement la date fixée pour rendre son délibéré afin de la diffuser officiellement. Après tout, l’audience de départage s’était tenue le 3 juin 2019. Nombre de décisions sont ainsi prises rapidement après l’audience, le temps du délibéré permettant simplement de la rédiger et de la signer.
Eh bien que nenni !
En effet, le Conseil de Prud’hommes de GRENOBLE, presque malicieusement, cite expressément l’avis de la Cour de Cassation du 17 juillet 2019, signe que celui-ci a bien été considéré par le Conseil au moment de rendre sa décision.
Considéré, mais non suivi !
Dans une démarche particulièrement audacieuse, pour ne pas dire suicidaire, le Conseil de Prud’hommes indique que si l’avis du 17 juillet 2019 a conclu à la compatibilité du barème MACRON à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, il ne s’agit pas d’une décision au fond (ce qui est exact au demeurant…).
Sous-entendu, même si la Cour de Cassation me conseille (vivement…) de m’aligner, je fais ce que je veux ! Un pied de nez comme on en voit désormais rarement dans le monde judiciaire !
En suite de quoi, alors que l’application du barème aurait amené à l’attribution d’une indemnité de 23.000,00 €, le Conseil attribue à la salariée une indemnité de 35.000,00 € (entre autres choses).
LA NECESSITE D’UNE POSITION DEFINITIVE
S’agit-il d’un désaveu de principe ? D’un dernier baroud d’honneur ? Du commencement d’une fronde organisée contre l’avis de la Cour de Cassation ? D’autres Conseils vont-ils suivre cette position ? Qu’en sera-t-il des Cours d’Appel ? Le premier arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation ira-t-il contre l’avis de sa Formation Plénière ?
A l’heure où ces lignes sont rédigées, rien n’est certain.
S’il y a fort à parier que cette résistance impulsée par le Conseil de Prud’hommes de GRENOBLE ne soit que la manifestation du mécontentement général, et que les Cours d’Appel ne prendront pas le risque d’aller à l’encontre d’une position aussi clairement affichée par la Cour de Cassation, elles en auraient parfaitement la possibilité.
Néanmoins, si le feuilleton judiciaire est en lui-même juridiquement passionnant, il conviendrait de ne pas oublier que derrière ces décisions se trouvent des hommes, des femmes, leurs enfants, des entreprises, dont le quotidien est souvent mis en pause à l’occasion de ce type de procès, particulièrement éprouvants, alors qu’une procédure allant jusqu’en Cassation dure rarement moins de 5 ans (sans même en évoquer le coût…).
Car même si dans le cas présent, la salariée a gagné une bataille, il est évident que l’employeur fera appel, fort de l’avis de la juridiction suprême.
Pendant ce temps que devient-elle ? A-t-elle pu trouver un autre emploi ? Arrive-t-elle à se reconstruire ? A-t-elle perdu sa maison car elle ne pouvait assumer son crédit ?
La sécurité juridique de chacun appelle à ce que l’on puisse être fixés sur une position définitive en la matière, ce qui permettra également aux praticiens que sont les Avocats de pouvoir conseiller leurs clients de manière avisée.
Car dans le flou judiciaire ambiant, l’Avocat ne peut malheureusement que répondre en Normand.
Antoine CANAL
Documents associés à cette actualité : jugement_departage_cph_grenoble_f_18_00267_1.pdf